Le XVIIe siècle

Saturday, November 29, 2008







Pierre Corneille
( 1606-1684)



Pierre Corneille est un auteur dramatique français du XVIIe siècle. Ses pièces les plus célèbres sont Le Cid, Cinna, Polyeucte et Horace. La richesse et la diversité de son œuvre reflètent les valeurs et les grandes interrogations de son époque.
( Azadunifr )

Biographie

Pierre Corneille est né à Rouen le 6 juin 1606. Son père était maître des eaux et forêts et sa mère, fille d'un avocat. Aîné de cinq frères et sœurs, il fait ses études au Collège des Jésuites de Rouen. Il y découvre la rhétorique latine, les héros de l'Antiquité et le théâtre. Il devient avocat en 1628, non par vocation mais pour faire plaisir à son père, qui lui achète deux modestes charges dont il s’occupera jusqu'en 1651. Trop timide pour plaider, il préférera très vite s'orienter vers une carrière poétique et dramatique. Il écrit sa première comédie en 1629, inventant la comédie de caractère, remplaçant la farce rudimentaire en vogue par des textes inspirés de la vie des honnêtes gens.

De 1630 à 1636, il écrit cinq nouvelles comédies et contribue ainsi à réhabiliter un genre jugé secondaire. Alors qu'on reproche au genre comique ses outrances et sa vulgarité, Corneille réussit à emprunter une voie qui refuse le grotesque pour privilégier la peinture des caractères et des mœurs. En 1633, âgé de vingt-sept ans, il publie Mélite ou Les Fausses Lettres, inspirée d’un amour malheureux avec une grande dame de Rouen, appelée Madame du Pont. Cette comédie connaît un succès suffisant pour décider Corneille, qui n'a alors que vingt-trois ans, à entreprendre une carrière théâtrale. En 1635, il aborde la tragédie avec Médée, et compose l'Illusion comique. Les pièces de Corneille sont des tragi-comédies écrites dans un langage riche, sonore et efficace. Ayant trouvé un genre qui lui convenait, il en écrira dix-sept.

En 1641, Le Cid, créée au début de l'année 1637, annonce le début de grands succès. Corneille épouse Marie de Lempérière, qui lui donne six enfants et quittera Rouen pour ne revenir s'installer à Paris qu’en 1662. Les années quarante sont les années de gloire de Corneille. Célébré par le public, reconnu par ses pairs, financé par le pouvoir, il connaît une décennie éclatante. En 1642, la tragédie Cinna lui apporte la consécration. Corneille apparaît alors comme le plus grand poète dramatique de son temps. On le qualifie même de « Sophocle français ». De 1643 à 1651, le théâtre cornélien reflète à sa manière la crise d'identité que traverse la France sous la régence d'Anne d'Autriche.

En 1647, Corneille est reçu à l'Académie française.

De 1651 à 1659, il se détourne momentanément du théâtre et se consacre à la traduction en vers de l'Imitation de Jésus-Christ que lui commandèrent les jésuites.
En 1667, Corneille voit apparaître un terrible rival. Racine connaît avec Andromaque, un triomphe qui n'est pas sans rappeler celui du Cid, trente ans plus tôt.

En 1670, les deux auteurs se trouvent en concurrence lorsqu'ils créent simultanément une pièce sur le même thème. Racine triomphe avec son Andromaque, tandis que le Tite et Bérénice de Corneille ne rencontre qu'un succès mitigé. Face à ces drames complexes s’oppose la simplicité racinienne qui séduit le public. Corneille n'écrira plus dès 1674.

Le théâtre de Corneille présente des héros d'une rare grandeur, confrontés à des situations nécessitant des choix difficiles. L'honneur, le devoir, l'élévation de pensée sont les qualités de ses personnages. Modèle incontesté de ses pairs au milieu du siècle, Pierre Corneille n’a de cesse d’innover tout au long de sa carrière. Il utilise la démesure dans sa peinture des caractères. Le comique y naît des personnages et non de situations stéréotypées. Tour à tour condamné par Boileau et Voltaire, réhabilité en partie par Hugo, Corneille souffre de leurs considérations partielles qui masquent la richesse de son oeuvre. Elle est à la fois politique et universelle dans ses rapports à l’Histoire : relations entre morale et pouvoir, justice et injustice, rôle du monarque ou du prince. Le héros cornélien est un homme excessif, toujours en quête d’un absolu transcendant l’égoïsme et la lâcheté. Contrairement au héros romantique, marginal et révolté, il s’inscrit dans un groupe social dont il est le parfait représentant. Il est partagé entre l’amour et l’honneur : c’est le fameux « dilemme cornélien ». Malgré la gloire, Corneille vécut pauvrement. Boileau, qui fut pourtant un illustre critique opposant de Corneille, voyant la pauvreté dans laquelle Corneille vivait, fut profondément touché et demanda au Roi, Louis XIV, de réparer cette injustice en lui versant sa propre pension.

Le 1er octobre 1684, Corneille mourut à Paris, à l’âge de soixante-dix-huit ans. Son frère Thomas lui succéda à l'Académie française. Racine prononça un superbe éloge.

Sa vie

Débuts littéraires:

Corneille est né à Rouen le 6 juin 1606, dans une famille de magistrats. Il fit ses études chez les jésuites, au collège de la ville, et se destina d'abord à une carrière d'avocat, projet qu'il abandonna très vite pour se consacrer au théâtre. Mélite (1629), sa première création, fut confiée aux acteurs qui fonderont plus tard le théâtre du Marais et rencontra à Paris un succès suffisant pour décider son auteur à embrasser la carrière dramatique, qu'il ne quittera plus jusqu'en 1674.

Ses premières pièces furent essentiellement des comédies ; le genre, jugé secondaire, était alors en crise, et il contribua beaucoup à le réhabiliter. Il en écrivit six entre 1629 et 1636 (la Veuve, 1632; la Galerie du palais, 1633; la Suivante, 1634; la Place royale, 1634; l'Illusion comique, 1636). C'est à la même époque qu'il donna la tragi-comédie Clitandre (1631), ainsi que Médée (1635), sa première tragédie. Il revint plus tard à la comédie , notamment avec le Menteur (1643).

Querelle du Cid:

Le triomphe du Cid (1637) fit date dans la carrière de Corneille: alors que le succès public le consacrait avec éclat dans son métier de dramaturge, il dut affronter ce qu'on appelle « la querelle du Cid ». Cette polémique naquit sans doute de conflits d'intérêts divers et des jalousies aiguisées par le succès de la pièce, mais elle donna lieu à un débat intéressant qui nous renseigne a posteriori sur la formation de l'esthétique classique.

En effet, ses ennemis reprochèrent à Corneille de n'avoir pas respecté tout ce qui constitue l'idéal classique au théâtre, notamment les règles de la vraisemblance et de la bienséance , celle des trois unités, ainsi que celle qui préconise la séparation distincte des tons et des genres .

Succès et controverses:

Dans ses grandes tragédies des années 1640, Horace (1640), Cinna (1641), Polyeucte (1642) et Rodogune (1644), Corneille se montra davantage soucieux du respect des règles du théâtre classique, avec toutefois de notables exceptions. Durant ces années, il connut une carrière brillante, que vint couronner son élection à l'Académie française en 1648 . Adulé par le public, reconnu par ses pairs, pensionné par le pouvoir, Corneille fut également nommé procureur des Etats de Normandie.

En revanche, les années 1650 furent assombries par la disgrâce que lui valut Nicomède (1651). Si la pièce connut un succès fracassant, elle apparut aussi comme un éloge à peine voilé du Grand Condé, qui était à la tête de la Fronde; ainsi, dès la fin des événements, Corneille fut privé de sa charge et de sa pension. Il s'éloigna alors de la création dramatique pour se consacrer à une traduction en vers de l'Imitation de Jésus-Christ (1656). Il ne revint au théâtre qu'en 1659 avec Œdipe. En 1660, il publia trois Discours sur l'art dramatique, tandis que commençait la parution de son Œuvre en recueils, chaque volume étant accompagné d'un « examen » des différentes pièces.

Dernières années:

Protégé par Fouquet, puis par Louis XIV, Corneille continua à se consacrer au théâtre, mais Racine avait désormais les faveurs du public. En 1670, les deux auteurs se trouvèrent en rivalité directe lorsqu'ils donnèrent simultanément des pièces sur le même sujet antique. Racine triompha avec sa Bérénice, face au Tite et Bérénice de Corneille, qui ne rencontra qu'un succès mitigé. Dès lors, le temps de Corneille était terminé, et ses deux dernières créations, Pulchérie (1672) et Suréna (1674), furent des échecs qui le poussèrent à cesser son activité de dramaturge. Il mourut à Paris le 1er octobre 1684.

( Azadunifr )

Bibliographie

1629 : Mélite
1630 : Clitandre
1632 : La Veuve
1633 : La Galerie du palais
1634 : La Place royale
1635 : Médée
1636 : L'Illusion comique
1637 : Le Cid
1640 : Horace (Œuvre dédiée à Richelieu)
1641 : Cinna (Tragédie qui le consacra)
1642 : Polyeucte
1643 : La Mort de Pompée et Le Menteur
1644 : La suite du Menteur
1645 : Rodogune
1646 : Théodore, vierge et martyr, et Héraclius
1649 : Don Sanche d'Aragon
1650 : Andromède et Don Sanche d'Aragon
1651 : Nicomède et Pertharite
1656 : L'Imitation de Jésus-Christ
1659 : Œdipe
1661 : Conquête de la Toison d'or
1670 : Tite et Bérénice
1672 : Pulchérie

ses Œuvres

Bourgeois, il célèbre le monde expirant des valeurs aristocratiques dans un théâtre de la force, où l'acte et la parole se confondent en sublime. Chacun s'éprouve dans l'éclat d'une gloire qui est paradoxale soumission au regard de l'autre. Cet univers de vainqueurs et de vaincus est avant tout héroïque ; mais il trouve une dimension tragique dans la douleur du dépassement de soi et dans la difficile confrontation entre les intérêts de l'individu et ceux d'un ordre politique, providentiel, ou idéologique. L'œuvre explore une Histoire conçue comme rencontre entre le héros et l'Etat, où au fil des pièces se consomme le sacrifice de l'être dans une politique de plus en plus autonome. Des fondateurs (Horace, Auguste) aux victimes (Tite), l'histoire des héros cornéliens fait écho à celle d'un poète qui affirme peu à peu sa maîtrise, s'élève au rang des Grands, avant d'être détrôné par Racine. Si la vie de Corneille, entre l'office paisible des débuts et les madrigaux de l'hôtel de Rambouillet, est rien moins qu'héroïque, on s'étonne cependant du combat que ne cessa de mener un auteur s'échinant à promouvoir ses pièces, à défendre sa poétique (Examens, Discours), voire à réclamer ses droits, préfigurant ainsi un Beaumarchais. Si certaines de ses pièces ne seront vraiment apréciées que de nos jours (Rodogune), il connaît de son vivant un immense succès (L'Illusion comique, puis ces quatre fables de la fondation que sont Horace, Le Cid, Cinna, Polyeucte). Pénétré du sentiment de sa valeur, refusant de s'inféoder durablement à un protecteur, il jouit royalement de son empire sur le public. En ce siècle où un homme bien né ne condescend que rarement à écrire, Corneille impose ainsi une véritable dignité de l'écrivain. Aussi participe-t-il dans sa célébration d'une morale défunte à la fondation de l'âge moderne.

L'Illusion comique (1636)

Auteur de comédies qui lui ont déjà apporté quelque notoriété, Corneille donne avec cette pièce un étourdissant mélange des genres, exhibant et démontant les moyens de l'illusion théâtrale tout en les faisant jouer à plein sur des spectateurs piégés. Théâtre dans le théâtre, la pièce est en fait un assemblage de poupées russes, qui nous montre une tragédie jouée par les personnages d'une comédie qu'un magicien fait voir à un vieillard. Métamorphoses des acteurs, éclatement des repères temporels et spatiaux contribuent à brouiller le jeu de codes théâtraux qui se bousculent. Dans le kaléidoscope ainsi créé, quelques figures se détachent, dont celle du ridicule Matamore — spadassin vantard qui n'est autre qu'une figure de l'acteur.

Comédies:

Évolution du genre:


En 1630, la comédie était un genre mineur, délaissé aussi bien par les auteurs que par les théoriciens du théâtre (en cela, ces derniers se plaçaient dans la continuité d'Aristote, qui, dans sa Poétique, ne parlait pas de la comédie au sens moderne qu'on lui donnait au XVIIe siècle).
Le théâtre comique avant Corneille se composait surtout de pièces outrées et grossières, inspirées de la farce ou de la commedia dell'arte. Corneille pratiqua dès ses débuts une comédie d'un genre nouveau, fondée sur la description des mœurs et des caractères, et accordant une place prépondérante à la peinture de l'amour.

Caractéristiques:

Inspiré par le genre pastoral, et en particulier par l'Astrée (1607-1627) d'Honoré d'Urfé, la comédie cornélienne est un genre mondain où l'auteur met en scène, dans un décor urbain, les jeunes gens de la bonne société d'alors: péripéties , obstacles et doutes quant à la réussite de leurs intrigues amoureuses constituent l'objet des dialogues aussi bien que le moteur de l'action dramatique. Mais, là où la pastorale proposait surtout, dans un climat harmonieux, une réflexion sur les conséquences sociales du sentiment amoureux, Corneille s'attache à dévoiler la véritable nature du cœur humain, en confrontant ses personnages à des situations extrêmes et douloureuses (la prison, l'abandon, la trahison, etc.).

Ses comédies ne sont donc pas comiques au sens où elles chercheraient à faire rire: elles se rapprochent plutôt d'un « romanesque gai », d'un « réalisme aimable », dans la mesure où elles peignent avec vraisemblance la vie quotidienne bourgeoise.
C'est d'ailleurs par ce trait qu'elles s'opposent à la tragédie , qui ne s'intéresse qu'aux personnages nobles de l'histoire et du mythe.
Par ailleurs, Corneille souhaite donner dans son théâtre une impression de naturel, et les dialogues de ses comédies se veulent une « imitation de la conversation des honnêtes gens ».

De la Place Royal au Menteur:

La Place royale (1634) est peut-être l'exemple le plus abouti de la comédie cornélienne. Elle traite des rapports de l'amour et de la liberté, problématique qui n'est pas totalement étrangère à celle du héros cornélien dans les tragédies . L'Illusion comique et le Menteur appartiennent plus nettement au comique proprement dit (le personnage de Matamore, dans l'Illusion comique, est directement issu de la commedia dell'arte). En outre, elles relèvent pleinement de l'esthétique baroque puisqu'elles abordent les thèmes de la métamorphose et de l'illusion et présentent le monde comme un théâtre. L'Illusion comique joue plus particulièrement de l'ambivalence entre l'être et le paraître, entre la vie et le spectacle. Cette pièce est d'une nature composite, et Corneille lui-même, dans l'épître préliminaire, la décrit comme « un étrange monstre […]. Le premier acte n'est qu'un prologue, les trois suivants sont une comédie imparfaite, le dernier est une tragédie ». Le Menteur, dont l'intrigue , comme son titre le laisse supposer, est fondée sur les mensonges du héros , est une pièce à rebondissements, où les personnages ne sont jamais confrontés à ceux à qui ils croient avoir affaire: ici, chacun trouve sa vérité en pensant la fuir.

Tragédies:

Le Cid:

De l'histoire traditionnelle inspirée du champion médiéval, différents auteurs avaient tirées des œuvres de qualité diverse. Corneille n'en conserve que le conflit entre l'amour et de l'honneur, dramatisé au maximum et qui devient le pivot de sa tragi-comédie. Le dénouement est suspendu à une réitération en laquelle s'exacerbent la bravoure, l'amour, et le devoir, noués en une situation dont seule la ruse aura raison. On contesta entre autres points l'unité de temps et l'invraisemblance de l'amour d'une fille pour le meurtier de son père ; Corneille ne digéra jamais ces attaques et revint souvent à la défense de cette pièce, avec laquelle la tragédie française est en passe de prendre sa forme définitive.

Le Cid marque une date importante dans l'histoire du théâtre au XVIIe siècle. D'abord parce que cette pièce inaugure la série des quatre grandes tragédies de Corneille (Le Cid, Horace, Cinna, Polyeucte), ensuite parce que cette œuvre, qui connut un immense succès, suscita une violente polémique, très révélatrice de l'évolution de la doctrine classique.

Le Cid est une tragi-comédie , genre qui n'est pas exactement un mélange de tragédie et de comédie , mais qui se définit plutôt comme une tragédie au dénouement heureux, fondée sur des principes romanesques. Aussi s'attendait-on à ce qu'elle suive les trois règles d'unité (d'action, de lieu et de temps). Or, l'intrigue est composée de deux actions distinctes, quoique subordonnées l'une à l'autre, et se déroule dans une multiplicité de lieux, ce qui troubla profondément les défenseurs du théâtre classique et suscita la polémique .

À Séville, Don Diègue et le comte de Gormas ont décidé d'unir leurs enfants qui s'aiment. Mais le comte, jaloux et fou de rage de se voir préférer le vieux don Diègue pour le poste de précepteur du prince, lui donne un soufflet. Don Diègue remet sa vengeance entre les mains de son fils Rodrigue qui, déchiré entre son amour et son devoir, finit par écouter la voix du sang et tue en duel le père de Chimène. Sans renier son amour, Chimène demande au roi la tête de Rodrigue, mais l'attaque du royaume par les Maures donne à Rodrigue l'occasion de montrer sa valeur et d'obtenir le pardon du roi. Plus que jamais amoureuse de Rodrigue devenu un héros national, Chimène reste sur sa position et obtient du roi un duel entre don Sanche et Rodrigue. Elle promet d'épouser le vainqueur. Rodrigue, victorieux, reçoit du roi la main de Chimène.

Corneille marque sa préférence pour une intrigue à péripéties et à rebondissements héritée de l’âge baroque. Cette pièce n’entre pas dans le moule de la tragédie classique avec sa succession de conflits exemplaires. Ce sont les premières incarnations des héros cornéliens qui obéissent à leur devoir mais gardent une humanité qui les rend attachants. Rodrigue, être de volonté, montre plus de réflexion que de fougue. Corneille n’est pas seulement un grand poète, il est un très habile versificateur. La cadence, dans le récit du combat du Cid, s’ajoute à la vigueur et à l’éclatante plénitude de l’expression. Au cours des siècles et jusqu'à aujourd'hui, le succès du Cid ne s'est pas démenti. Le public reste sensible aux valeurs éternelles que représente le couple Rodrigue-Chimène : jeunesse, amour, honneur.

Horace:

Quant à la tragédie Horace, elle apparut comme une réponse à la querelle du Cid. D'ailleurs, une seconde querelle éclata à son propos, portant sur le problème de l'unité d'action dans cette pièce. Horace développe en effet une double intrigue , mettant en parallèle la guerre glorieuse menée par le héros pour sauver Rome et le procès engagé contre lui pour le meurtre de sa sœur Camille. S'il y a effectivement une unité dans cette pièce, elle constitue ce qu'on pourrait appeler une « unité de péril », puisque le personnage principal y est confronté, par deux fois et dans deux contextes différents (le champ de bataille, le tribunal), à un même danger.

Sur les épaules du héros reposent les destinées de l'empire. Malheureusement liés par différents mariages, les Horace et les Curiace doivent combattre pour départager Albe et Rome. Sur le mythe fondateur raconté par Tite-Live, Corneille jette son héros entre les exhortations impitoyablement vertueuses d'un père et les inquiétudes d'un gynécée lié à l'ennemi. Horace vainc, puis tue sa sœur dont les scrupules l'offensent. Raison est rendue à l'Etat, et le patriotisme est récompensé par l'oubli du fratricide. L'héroïsme se nourrit ici de puissance sur soi-même, la représentation se dramatise du contraste entre les larmes féminines et les rigueurs de la loi, incarnée dans la voix du père.

Cinna:


Que l'extraordinaire soit aussi vraisemblable : tel est l'enjeu poétique d'une pièce dont l'auteur souhaite qu'elle rachète aux yeux des savants les extravagances du Cid et d'Horace. Auguste est le véritable héros de cette tragédie de la conquête de soi, où la maîtrise de l'univers s'affirme dans la maîtrise de soi. Tel est le sens d'une clémence qui finit par avoir raison des caprices de quelques conspirateurs, convertis in fine par un souverain trouvant ainsi sa légitimité.

Composée en alexandrins à rimes plates, Cinna est la première pièce importante de Corneille à respecter les règles du théâtre classique, alors en formation. Respect de l'unité de temps d'abord, puisqu'elle se déroule en une seule journée, de l'unité de lieu ensuite, puisqu'elle se passe intégralement dans le palais romain où se situent les deux appartements d'Auguste et d'Emilie, de l'unité d'action enfin, puisque la préparation de la conjuration implique l'ensemble des personnages, même si ces derniers évoluent individuellement dans des « sous-intrigues », jusqu'à la réconciliation finale.

Dans l'ensemble de ses tragédies à thème antique, Corneille se montra extrêmement fidèle au modèle de l'Antiquité, notamment en conférant aux intrigues une véritable dimension politique, où l'histoire occupe toujours une place essentielle.

Tragédie, histoire et politique:

De fait, la tragédie cornélienne est essentiellement d'inspiration historique. Horace, Cinna et Polyeucte s'inspirent toutes les trois de l'Antiquité latine, et chacune se situe à une période clef de l'histoire romaine: conquête de cités voisines, dans le cas d'Horace (Albe, VIIe siècle av. J.-C.), passage de la République à l'Empire dans celui de Cinna (Ier siècle apr. J.-C.), passage du paganisme au christianisme pour Polyeucte (IIIe siècle).

Dans les trois pièces, la crise psychologique s'inscrit donc dans un cadre historique bien déterminé, mais celui-ci offre souvent une perspective sur l'actualité du temps de Corneille. Ainsi, Horace relate l'affrontement fratricide opposant un jeune Romain à un citoyen d'Albe, qui est aussi le mari de sa sœur Camille. Or, depuis 1636, la France était engagée dans une guerre contre l'Espagne, alors que Philippe IV et Louis XIII se trouvaient doublement liés, pour être marié chacun à la sœur de l'autre. Par ailleurs, cette pièce soulève le problème de la légitimité de la raison d'Etat et de ses limites: le héros doit-il aller jusqu'au meurtre de sa sœur au nom de l'honneur de la patrie??. Cette question était d'une grande actualité dans une période où la France était profondément divisée. Le cas de Cinna est analogue. Cette tragédie relate une conjuration des républicains contre Auguste, qui avait transformé la république en empire, à son profit. Elle pose, par cet argument, le problème de la défense et de la légitimité d'un pouvoir centralisé, et les contemporains ne manquèrent pas d'y voir une allusion explicite à la situation de Louis XIII, qui s'était engagé avec Richelieu dans l'établissement du pouvoir absolu, au détriment non pas des républicains, mais de la noblesse, que Richelieu cherchait à contenir et à dominer. Faut-il voir dans Cinna (sous-titré « la Clémence d'Auguste »), comme certains l'ont dit, une invitation à la clémence adressée à Louis XIII??. Rien ne permet de l'affirmer, d'autant que la pièce semble être plutôt une célébration du pouvoir absolu. L'ensemble de ces considérations indique surtout clairement la volonté qu'avait Corneille de mettre en scène les problématiques politiques et sociales de son temps. Mais, par le biais de ces questions d'actualité, et plus particulièrement à travers la figure du héros, c'est la notion même d'humanité qu'il souhaitait évoquer.

Héroïsme:

L'héroïsme cornélien revêt un aspect moral et psychologique, qui reflète les sentiments d'enthousiasme, d'orgueil, de bravoure, de générosité, qui représentaient encore l'idéal aristocratique de la noblesse au temps de Louis XIII. Personnage d'exception, incarnation des valeurs féodales, le héros cornélien, par son caractère chevaleresque et sa conception de l'amour (proche du modèle courtois), tendait en effet aux gentilshommes un miroir flatteur, mais il devait progressivement apparaître démodé au public de la seconde moitié du siècle, gagné par les valeurs bourgeoises: ses ambitions étaient en effet essentiellement dictées par le sentiment, historiquement daté, de la gloire.

Passion et gloire:

Le fondement même de l'héroïsme cornélien est l'orgueil, c'est-à-dire l'amour-propre, qui ne va pas sans le souci de sa propre réputation. Bien davantage que par l'idée du devoir, le héros de Corneille est dominé par son besoin absolu de liberté, aussi se laisse-t-il volontiers conduire par la passion. Cependant, loin d'être déchiré par celle-ci, il parvient toujours à l'accorder aux nécessités de sa gloire et, quels que soient les événements auxquels il se trouve confronté, il est toujours victorieux. C'est le cas dans le Cid, où Rodrigue choisit l'honneur avant l'amour, et obtient finalement les deux. C'est encore le cas dans Cinna, où Auguste, qui a préféré la clémence à la vengeance, gagne à la fois la gloire et la paix. De manière générale, l'orgueil du héros cornélien, fondé sur le sentiment de sa supériorité aristocratique, le conduit à exhiber sa propre valeur, à donner sa grandeur en spectacle aux autres personnages: rompus à toutes les techniques dramaturgiques, Corneille sut exploiter à merveille les possibilités du théâtre dans le théâtre. Cependant, l'héroïsme cornélien n'est pas exclusivement spectaculaire. Il symbolise aussi un idéal personnel de défi et de noblesse, destiné à conjurer la menace de l'échec, de l'anéantissement et de la mort. La morale cornélienne consiste en définitive à faire coïncider les désirs, les passions et les instincts de ses personnages avec la conception qu'ils ont de leur propre supériorité, ce qui les entraîne inéluctablement à dépasser le statut de simple personnage pour accéder au rang de héros. Toujours admirables par l'exemple qu'ils offrent du pouvoir de la volonté humaine contre la force des choses, les héros de Corneille ne sont donc pas ceux de la véritable tragédie: loin d'être anéantis par une fatalité qui les dépasse, ils sortent victorieux des épreuves. En outre, une fois leurs grandes actions achevées et après qu'ils ont assuré leur salut et leur gloire vient pour eux le temps de l'amour, de la clémence et de la sérénité, temps béni qui est interdit définitivement aux héros tragiques.



( Azadunifr )

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