Le XVIIe siècle

Friday, December 05, 2008

La querelle des Anciens et des Modernes


L'opposition entre tradition et modernité est une constante dans l'histoire de la littérature moderne. Au XVIIe siècle, avec les débats sur les Lettres de Guez de Balzac (1624-1629) ou la "Querelle du Cid (1637)", c’est surtout la "Querelle des Anciens et des Modernes" qui marque l’Histoire, tant par son intensité (tous les écrivains qui comptent y participent à un moment ou à un autre) que par sa longueur (1653-1715).

Elle se déroule en quatre temps. C’est d’abord la "Querelle du merveilleux chrétien" (1653-1674) : quelques auteurs publient des épopées héroïques, prônant la supériorité du christianisme sur le paganisme en littérature. Suivie de la "Querelle des inscriptions" (1675-1676) dans laquelle le milieu culturel s’interroge sur la langue des épigraphes à graver aux frontons des monuments érigés à la gloire du roi. C’est le français qui l’emporta sur le latin.

Mais le temps fort de la dispute se situe entre 1688 et 1700. A la suite de la lecture par Charles Perrault de son poème Le Siècle de Louis XIV dans lequel il proclame la primauté de la littérature du temps s’engage une polémique. Les partisans de la suprématie antique se recrutent surtout à la Cour et dans la génération classique (Boileau, Racine, La Fontaine, Bossuet, La Bruyère). Leurs adversaires sont plutôt des auteurs jeunes (Charles Perrault, Fontenelle), des mondains et des amateurs de genres nouveaux (opéra, contes, romans). Vers 1700 l’antagonisme s’apaise, sans victoire nette. Un épilogue a lieu en 1714-1716 à propos d’Homère (doit-il être apprécié tel quel ou adapté au goût du jour ?).

Bien qu’il y ait eu en apparence deux camps bien tranchés, il s’agit surtout de rivalités de personnes et de cabales entre coteries, ce qui explique peut-être l’acuité de la lutte. Néanmoins quelques grands problèmes sont abordés. Par exemple l’opposition entre imitation, échappant aux modes éphémères, et innovation, tenant compte de l’évolution du monde. Elle pose surtout la question du progrès en art. Il est impossible pour les Anciens ("Tout est dit, et l’on vient trop tard depuis mille ans qu’il y a des hommes, et qui pensent", La Bruyère), mais nécessaire pour les Modernes ("Le temps a découvert plusieurs secrets dans les arts, qui, joints à ceux que les Anciens nous ont laissé, les ont rendus plus accomplis" Charles Perrault).

Les conséquences ne sont pas négligeables. La remise en cause des modèles du passé ébranle les notions de tradition et d’autorité. Le goût classique ne peut plus imposer son esthétique qui puise dans l’Antiquité, et l’esprit critique qui résulte de l’affrontement va s’imposer. La Querelle des Anciens et des Modernes annoncent ainsi la philosophie des Lumières.
( Azadunifr )

Une vieille opposition:

Ce que l'on appelle la querelle des Anciens et des Modernes ne fait que reprendre, en la radicalisant, one vieille opposition. De tout temps, s'affirment deux conceptions de la littérature et, plus généralement, de la création. Les uns, tournés vers le passé, croient qu'il convient d'imiter les prédécesseurs, parce qu'ils ont atteint la perfection dans leur art: ce sont les partisans des Anciens. Les autres, fixés sur le présent, pensent qu'il faut, au contraire, innover, trouver des solutions qui correspondent à l'esprit de l'époque: ce sont les Modernes. Entre les deux camps, les conciliateurs essaient d'harmoniser les positions: pour eux, s'il faut tenir compte des apports précédents, il faut aussi les adapter aux situations nouvelles, les utiliser comme un tremplin qui permet de progresser.
Durant la première partie du XVIIe siècle, ces trois conceptions apparaissent déjà, par exemple dans le domaine théâtral: les adeptes du théâtre régulier entendent appliquer les préceptes des auteurs dramatiques de l'Antiquité, d'autres préfèrent un théâtre irrégulier porteur d'innovations, tandis que les partisans de solutions moyennes les renvoient dos à dos, en préconisant un système théâtral à la fois inspiré des Anciens et influencé par le présent.

Les camps en présence:

Qu'a donc alors de particulier cette querelle des Anciens et des Modernes? D'abord, son nom même: il montre que naît une conscience vive de l'existence d'une opposition, de deux voies possibles. Ensuite, son intensité: il s'agit d'une querelle aiguë, à laquelle vont participer la plupart des écrivains de l'époque. Enfin, sa signification: elle indique que le classicisme est ébranlé, que de nouvelles solutions commencent à être cherchées.

C'est une véritable bataille qui s'engage. Les péripéties y sont nombreuses. Chaque camp essaie de marquer des points, tandis que des esprits plus modérés tentent une conciliation difficile. Du côté des Anciens, La Fontaine, Boileau et La Bruyère sont parmi les plus ardents à exprimer leurs positions. Du côté des Modernes, Thomas Corneille et surtout Charles Perrault apparaissent comme les militants les plus actifs. Enfin, dans ce combat, Saint-Évremond, Fénelon et Fontenelle se posent en médiateurs.

Le progrès existe-t-il en art ?

Les Anciens et les Modernes s'opposent essentiellement sur la notion de progrès dans le domaine artistique. Pour les premiers, comme La Bruyère, le progrès en art n'existe pas, la perfection a été atteinte une fois pour toutes par les Anciens qui ont tout découvert, tout inventé: « Tout est dit, et l'on vient trop tard depuis plus de sept mille ans qu'il y a des hommes, et qui pensent. Sur ce qui concerne les mœurs, le plus beau et le meilleur est enlevé; l'on ne fait que glaner après les Anciens et les habiles d'entre les Modernes. » (Les Caractères, I, 1). Pour les seconds, comme Perrault, il reste au contraire beaucoup à trouver, beaucoup à améliorer, ce qui donne aux Modernes une supériorité de fait sur leurs prédécesseurs: « [...] tous les arts ont été portés dans notre siècle à un plus haut degré de perfection que celui où ils étaient parmi les Anciens, parce que le temps a découvert plusieurs secrets dans tous les arts, qui, joints à ceux que les Anciens nous ont laissés, les ont rendus plus accomplis [...]. » (Parallèles des Anciens et des Modernes).
Cette opposition centrale entraîne tout naturellement d'autres oppositions: imiter les Anciens, c'est se référer à des modèles immuables; innover, c'est, au contraire, chercher des solutions meilleures. Suivre les exemples des prédécesseurs, c'est se rallier à des pratiques cautionnées par le temps et donc à l'abri des modes; s'engager sur une voie nouvelle, c'est tenir compte de l'évolution historique, des leçons des événements.

Anciens :

• Antoine Furetière, Nouvelle allégorique (1659)

• Nicolas Boileau, Satires I-VI et VIII-IX (1666-1668) – Traité du sublime de Longin (1674) – L’Art poétique (1674)

• René Rapin, Réflexions sur la Poétique d’Aristote(1674)

• Jean Racine, Préfaces d’Iphigénie (1675) et de Phèdre (1677)

• Nicolas Pradon, Phèdre et Hippolyte (1677)

• La Fontaine, Epitre à Huet (1687)

• La Bruyère, Les Caractères (1688) – Préface du Discours de réception à l’Académie Française (1694)

• Longepierre, Discours sur les Anciens (1688)

• Nicolas Boileau, Ode sur la prise de Namur / Discours sur l’Ode (1693) – Reflexions sur Longin (1694) – Satire X (1694)

• Madame Dacier, L’Iliade d’Homère traduite en français avec des remarques (1711) - Des causes de la corruption du gout (1714) – La Suite de la corruption du Gout (1716)

• Fénelon, Lettres à l’Académie (1714) – Lettre sur les occupations de l’Académie (1716)

• Etienne Fourmont, Examen pacifique de la querelle de Madame Dacier et Monsieur de La Motte (1716)

Modernes :

• Poèmes épiques de Le Moyne (Saint-Louis, 1653), Georges de Scudéry (Alaric, 1654), Antoine Godeau (Saint-Paul, 1656), Jean Chapelain (La Pucelle, 1657), Desmarets de Saint-Sorlin (Clovis, 1657), Le Laboureur (Charlemagne, 1664)

• Desmarets de Saint-Sorlin, La comparaison de la langue et de la poésie française avec la grecque et la latine (1670) – Défense du poème héroïque (1675) - Défense de la poésie et de la langue française (1675)

• Michel de Marolles, Traité du poème épique (1662)

• Le Laboureur, Avantages de la langue française (1667)

• François Charpentier, Défense de la langue françoise pour l’Arc de triomphe (1676) – De l’excellence de la langue françoise (1683)

• Michel de Marolles, Considérations en faveur de la langue françoise (1677)

• Charles Perrault, Le siècle de Louis le Grand (1687) – Parallèles des Anciens et des Modernes (1688-1697) – Des hommes illustres qui ont paru en France (1696-1711)

• Fontenelle, Dialogues des morts (1683) – Digression sur les Anciens et les Modernes (1687)

• Saint-Evremont, Sur les poèmes des Anciens (1686) - Sur la dispute touchant les Anciens et les Modernes (1692)

• Pierre Bayle, Dictionnaire historique et critique (1695-1697)

• Houdar de La Motte, L’Iliade en vers français (1714) – Réflexions sur la critique (1715)

• Jean Terrasson, Dissertation critique sur l’Iliade d’Homère (1715)

• D’Aubignac, Conjectures académiques, ou dissertation sur l’Iliade (1715)
( Azadunifr )

En résumé :

À la fin du XVIIe siècle, cette controverse littéraire oppose :

les "Anciens" qui défendent les grands auteurs antiques et souhaitent qu'ils restent des "modèles" dans la création artistique ;

les "Modernes", quant à eux, estiment qu'il faut innover et pensent que la création artistique de l'époque peut rivaliser avec le passé.

( Azadunifr )

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